Sommet africain sur le VIH/SIDA, la Tuberculose et les autres maladies
Speaker: Bernard Pécoul
Messieurs les Présidents, vos Excellences, et distingués délégués.
Je vous remercie pour l’opportunité qui m’est donnée de m’adresser à cette honorable assemblée. Medecins Sans Frontieres aimerait remercier le Gouvernement du Nigéria et l’Organisation de l’Unité Africaine pour avoir organisé cet évènement important.
Depuis 30 ans, Medecins Sans Frontieres, a fourni des soins de santé dans des zones de conflits, et mis en place des programmes d’assistance pour les populations touchées par les épidémies, famines et désastres naturels. Nous sommes également impliqués dans des projets de santé à long terme. Partout où nous travaillons, nous le faisons en collaboration avec les partenaires nationaux. Je souhaiterais vous parler des progrès réalisés pour améliorer l’accès au traitement des maladies infectieuses. Cette réunion est un symbole de la prise de conscience politique du besoin d’augmenter l’attention et les ressources visant à améliorer l’accès à la prévention et aux soins. Permettez-moi de vous présenter notre point de vue sur le problème de l’accès aux médicaments et vaccins essentiels. Notre parole est celle de médecins qui sont les témoins de décès injustifiés à nos yeux.
Nous voyons des gens mourir parce que certains des médicaments nécessaires pour les traiter ne sont plus produits. La production de ces médicaments est abandonnée par les fabricants parce que la majorité des patients n’ont pas de ressources suffisantes pour représenter un marché rentable.
Nous voyons des gens mourir parce que les prix des nouveaux médicaments vitaux sont au-dessus de leurs moyens.
Nous voyons des gens mourir parce que les médicaments disponibles ne sont plus efficaces, du fait du développement de résistances. Or il n’y a pratiquement aucun médicaments en cours de développement pour remplacer les médicaments obsolètes. La recherche et le développement de nouveaux médicaments dans le domaine des maladies tropicales est en panne.
Comme vous pouvez le voir dans ce graphique, sur les 1223 nouveaux médicaments qui ont été autorisés, seulement 1%, c’est à dire 11, l’ont été pour le traitement des maladies tropicales. Parmi ces 11 médicaments, six ont été le fruit de la recherche vétérinaire dont l’utilité pour l’homme a été prouvée par la suite.
Prenons tout d’abord le cas des médicaments vitaux dont la production a été arrêtée par les fabricants. En pratique cela signifie que des médicaments ou des vaccins efficaces pour lutter contre la méningite, la fièvre jaune ou la maladie du sommeil sont devenus indisponibles. Le traitement de la maladie du sommeil en est le parfait exemple. Il y a deux ans, la production de quatre des cinq médicaments qui traitent cette maladie fatale était soit interrompue, soit non sécurisée.
L’exemple le plus frappant est celui de l’ eflornithine, qui fût introduit il y a plus de onze ans. Ce médicament était appelé le « médicament de la résurrection » à cause de sa capacité à guérir des gens qui étaient proches de la mort. Mais aujourd’hui le traitement de première intention de la maladie du sommeil en phase secondaire repose sur l’usage d’un médicament dérivé de l’arsenic qui tue 5% des patients par ses effets indésirables. Pourquoi les médecins rationnent-ils le « médicament de la résurrection » ? Parce qu’il n’a pas été produit depuis 1995, le producteur l’ayant abandonné par manque de rentabilité.
En 2001, suite à une pression internationale grandissante, tous les producteurs ont accepté de recommencer ou de continuer la production de ces médicaments essentiels. Ils ont également accepté soit de les vendre à des prix abordables, soit de les donner. Maintenant que ces médicaments sont disponibles, il y a un besoin urgent que les autorités des pays affectés s’assurent que ces médicaments sont réellement utilisés.
La seconde catégorie est celle des médicaments vitaux qui sont à des prix inabordables pour la population qui en a besoin, comme les nouveaux antibiotiques ou les médicaments anti-sidéens. Prenons l’exemple des anti-rétroviraux. Mais d’abord, permettez-moi de dire un mot sur la position de MSF sur la prévention versus le traitement VIH/SIDA.
Nous croyons que les deux sont liés de manière inhérente et que la prévention ne peut fonctionner correctement sans traitement. Les gens ne veulent pas être testés si, de toutes façons, il n’y a pas de traitement disponible; et lorsque les gens ne sont pas testés les efforts dans la prévention sont vains. Il y a un besoin urgent d’augmenter les efforts dans la prévention et les traitements, car nous ne pouvons envisager de choisir entre les deux. Le développement d’un vaccin est une priorité.
En ce qui concerne l’accès aux cocktails de médicaments, jusqu'à récemment il ne pouvait y avoir de discussions sérieuses parce que les prix étaient trop élevés- 10 000 à 15 000 $. Le traitement n’était pas une option. Cette réalité a fondamentalement changé. Le changement vient du fait qu’il y a eu une prise de conscience vis à vis du manque d’accessibilité aux médicaments vitaux. Beaucoup de leaders mondiaux ont réalisé que la majorité des malades étaient au Sud, et que les médicaments se trouvaient au Nord.
Comme vous pouvez le voir sur ce graphique, 85% de la population mondiale vit dans les pays en voie de développement mais ne représente que 23% du marché mondial du médicament. L’Afrique seule représente seulement un pour cent des ventes mondiales de médicaments.
La conjugaison de la prise de conscience mondiale et de la concurrence intense des producteurs de génériques a produit ses effets. Cette courbe montre la chute spectaculaire des prix pour un cocktail de médicaments communément utilisé. Le prix de ce cocktail de médicaments a chuté de 98% ou a été divisé par 30. Ceci s’est déroulé en 8 mois. Nous pensons qu’il est significatif que les réductions offertes par les multinationales pharmaceutiques sont la conséquence des chutes de prix engendrées par les compagnies génériques. Le prix du produit breveté suit la progression de celui du produit générique.
Rendre les prix des médicaments comme les anti- retroviraux ou les antibiotiques abordables dans vos pays nécessite la mise en œuvre d’un plan d’action.Plusieurs stratégies complémentaires peuvent être mises en place simultanément:
- La stimulation de la concurrence par l’introduction de génériques- à travers la production locale ou l’importation.
- La mise en place de prix différenciés, c’est à dire une diminution drastique des prix des médicaments récents de la part des multinationales dans vos pays.
- Le développement d’un approvisionnement régional et international avec le support de l’OMS, l’UNICEF et de l’ONUSIDA.
A fin de mettre en place une stratégie d’introduction des génériques ou de support à la production locale, sur le long terme, il sera nécessaire d’utiliser pleinement les clauses de sauvegarde dans les accords internationaux dits ADPIC. Par exemple, vous pouvez inscrire dans vos lois nationales 1) les règles de licence obligatoire qui permettent au gouvernement de surmonter l’obstacle des brevets lorsque cela est nécessaire 2) les importations parallèles qui permettent d’acheter des médicaments brevetés au meilleur prix sur le marché mondial.
Cependant, nous avons pu observer que dans la révision des accords de Bangui (accord commercial régional entre 16 pays africains francophones), la mise en place des clauses de sauvegarde autorisées par l’ADPIC étaient difficilement applicables.
Nous soutenons les leaders africains dans leur appel à une session spéciale du Conseil ADPIC au sein de l’OMC. Cette session va étudier comment les règles de commerce peuvent être mises en place tout en respectant les priorités de santé publique. La session de juin sera une bonne opportunité pour vous de vérifier si les accords peuvent être interprétés ou modifiés a fin d’assurer l’accès aux médicaments essentiels.
La troisième catégorie concerne les médicaments anciens qui continuent d’être utilisés même s’ils ne sont plus efficaces. Je parle ici de maladies fréquentes qui devraient être traitables comme le paludisme, les diarrhées sévères dues à shigella, et les maladies sexuellement transmissibles.
Le cas du paludisme est démonstratif. Nous sommes préoccupés par la mauvaise pratique médicale qui consiste en l’utilisation courante de médicaments pour le paludisme qui ne sont plus efficaces. Nous croyons que nous devons prendre une responsabilité collective vis á vis de ce problème. Nous avons un engagement éthique dans l’utilisation des moyens thérapeutiques disponibles les plus efficaces. Les protocoles nationaux de traitement du paludisme doivent être changés quand ils ne marchent plus. Au-delà du renforcement des mesures préventives, les ministres de la santé et les responsables politiques doivent prendre la décision d’introduire des combinaisons thérapeutiques incluant des dérivés de l’artesunate. De la réponse donnée à ce problème dépendra la vie ou la mort de nombreux enfants ou adultes n’ayant pas acquis d’immunité naturelle.
L’enjeu pour l’avenir est de transformer des succès limités, en ce qui concerne la maladie du sommeil ou les traitements pour le SIDA, en une solution durable permettant d’améliorer l’accès aux médicaments. En tant que médecins travaillant en collaboration avec nos collègues africains jour après jour, nous avons quelques idées pouvant contribuer á un changement. Mais c’est à vous, responsables africains qu’incombe la responsabilité de prendre des mesures énergiques.
- Seul votre leadership — peut exiger que le manque de médicaments et de vaccins pour lutter contre la fièvre jaune ou la méningite soient relégués au rang de l’histoire.
- Seul votre leadership — peut assurer que les médicaments essentiels soient à des prix abordables ; vos lois nationales et votre rôle en tant que membre de l’OMC sont des facteurs déterminants.
- Seul votre leadership — peut éviter que les gens ne meurent pour avoir utilisé de la chloroquine qui n’est plus efficace.
- Seul votre leadership — permettra la mise à disposition des fonds disponibles pour la prévention et les soins.
Nous croyons que la communauté internationale peut jouer un rôle significatif dans la réalisation de vos objectifs de santé. Le support international devra inclure l’augmentation des financements des pays donateurs, un support technique et politique de la part des institutions des nations unies comme l’OMS, UNICEF, ONUSIDA et la participation constructive des compagnies pharmaceutiques.
MSF—à travers nos actions et les soins que nous apportons aux populations dans vos pays et à travers notre capacité à témoigner à un niveau international, apportera son soutien dans vos efforts.
Je vous remercie de votre attention.